APOLOGÉTIQUE

APOLOGÉTIQUE
APOLOGÉTIQUE

Considérée comme discipline autonome, l’apologétique est de date récente; mais l’apologie, qu’elle soit juive, catholique, orthodoxe ou protestante, est aussi ancienne que le judaïsme ou le christianisme. Bien qu’elle ait conduit souvent à la controverse, l’apologétique ne doit pas être identifiée avec elle. La controverse accuse les différences et les oppositions; elle entraîne plutôt une attitude de fermeture aux idées d’autrui. L’apologétique, au contraire, peut et doit garder une attitude d’ouverture. Ses «raisons» sont celles du dialogue, et d’un dialogue non seulement extérieur mais intérieur au croyant: elle cherche à établir les motifs qu’à chaque époque le fidèle reconnaît à sa croyance, en face de sa propre incroyance, et à les communiquer à autrui.

1. La littérature apologétique juive

Le judaïsme antique n’a eu une littérature apologétique qu’à partir du moment où il a été en contact avec les peuples environnants. On doit mentionner le Contre Apion de Flavius Josèphe (95 apr. J.-C.), adressé aux Romains, et l’œuvre philosophique de Philon qui, bien qu’elle n’ait jamais été reconnue par le judaïsme orthodoxe, a constitué une première tentative d’explication du judaïsme par rapport à la pensée hellénique.

C’est plus tard, au IXe siècle seulement, qu’a commencé de s’opérer dans le judaïsme la rencontre de la révélation et de la raison philosophique, lorsque les lettrés ont eu connaissance, dans des traductions arabes, des chefs-d’œuvre de la philosophie grecque, Pythagore, Platon, Aristote, Plotin ont été alors rendus accessibles aux maîtres de la synagogue (geonim ). Déjà les philosophes arabes dits motazilites avaient tenté d’exprimer en termes philosophiques les grandes données du monothéisme: unité de Dieu, création du monde, liberté humaine, justice divine, problème du bien et du mal. Leur méthode d’investigation, le kalam , avait donné naissance à la première théologie rationnelle. Mais celle-ci reposait sur le concordisme musulman entre révélation et raison. Saadia ben Joseph de Fayyoum (882-942) inaugura une recherche semblable au sein du judaïsme et appliqua aux données de la Bible la dialectique du kalam. Son ouvrage fondamental, Certitudes et Connaissances , inspiré par la pensée du Talmud, soutient qu’il y a harmonie entre la révélation, la tradition et la raison.

Il y eut bientôt une réaction. Dans le Kuzari (1140), Judah Halevi imagina un dialogue entre un chrétien, un musulman et un rabbin en présence du roi des Khazars, qui finit par se convertir au judaïsme; il fit une critique sévère de la philosophie du kalam et attacha la certitude non pas à la démarche de la raison, mais à la lettre de la Torah donnée par Dieu à Moïse.

Dans la période qui suivit, l’effort rationnel fut repris, mais l’aristotélisme prit peu à peu le pas sur le kalam et sur le néo-platonisme. Dans le Guide des égarés (1195) Moïse Maimonide prouva que la foi d’Israël et la sagesse grecque, bien que différentes dans leur origine, sont identiques dans leur essence et doivent se rejoindre pour les croyants. La spéculation rationnelle put être considérée alors comme une voie vers la connaissance mystique. D’abord rejetée par le judaïsme orthodoxe, l’œuvre de Maimonide fut acceptée par la suite, et elle exerça une influence décisive sur la pensée chrétienne du Moyen Âge. Elle garde un grand crédit dans la pensée juive contemporaine.

2. L’apologétique chrétienne aux premiers siècles

L’apologétique chrétienne a commencé, au lendemain de la Pentecôte, avec les discours de Pierre (Actes des Apôtres, II et III) et d’Étienne (Actes, VII). Elle fut d’abord une défense et un témoignage des juifs chrétiens face aux responsables du peuple juif. Son affirmation majeure était la réalisation des prophéties messianiques. Elle n’impliquait pas pour autant une rupture avec le judaïsme et elle argumentait à partir de la même tradition et sur les mêmes thèmes.

Mais dans l’ensemble du Nouveau Testament (Phil., I, 7; I Tim., I, 3 et surtout Actes, XXIV, 25), l’apologie prit bientôt une extension beaucoup plus large. La défense de la foi en Jésus-Christ fut portée devant les tribunaux païens, et les premiers chrétiens virent dans cette convocation juridique devant les autorités la confirmation de l’Évangile et la manifestation de l’Esprit saint. L’apologie, qui pouvait aller ainsi jusqu’au martyre, fut adressée désormais à tous les peuples de l’Empire et aux autorités constituées. Dans la Première Lettre de Pierre (III, 5), se trouve la charte de l’apologie de la foi selon le Nouveau Testament: «Soyez prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous, à quiconque vous le demande avec mansuétude et respect.»

Quand ils se furent distingués des juifs, les chrétiens témoignèrent de leur foi devant les fonctionnaires païens, et avant tout devant l’empereur. D’où le nom de «Pères apologistes», qui fut donné aux premiers Pères de l’Église. Le IIe siècle fut ainsi l’âge des apologies: Apologies I et II , de Justin (147-161); Discours aux Grecs , de Tatien (150-173); Trois Livres à Autolicus , de Théophile d’Antioche (160); Supplique pour les chrétiens , adressée par Athénagore d’Athènes à Marc Aurèle (177); Épître à Diognète , le chef-d’œuvre du genre, dont l’auteur n’a pas été identifié.

Les ouvrages apologétiques ont été d’abord des réponses aux contestations des philosophes ou des gnostiques grecs: Octavius , de Minucius Félix (fin du IIe siècle); Apologétique , de Tertullien (197); Exhortation aux Grecs , Pédagogue , Stromates , de Clément d’Alexandrie (200-202); Contre Celse , d’Origène (244-248). Ces écrits ont préparé les traités théologiques des Pères des siècles suivants.

Cette littérature, fondée surtout sur le Nouveau Testament, s’est accompagnée malheureusement très souvent d’un oubli et d’une méconnaissance de la tradition juive. Affirmant entre les deux Testaments, entre le temps de la promesse et celui de l’accomplissement, un rapport d’antitype à type, ou d’image à réalité, les apologistes chrétiens d’origine grecque ont manifesté un penchant excessif pour l’allégorie et ont parfois détaché la typologie de l’histoire, et la théologie de l’économie et de l’histoire du salut. En retour, les rabbins tannaïm et amoraïm se sont repliés sur la tradition légale, la halakha . Ils ont laissé de côté les versions de la Bible, en particulier la version des Septante répandue jusqu’alors dans les synagogues de la diaspora, parce que les chrétiens l’utilisaient contre eux, et ils ont préféré les traductions de Théodotion, Symmaque et Aquila. Sous l’influence d’apologétiques opposées, le judaïsme et le christianisme, pourtant issus d’une même tradition, sont devenus ainsi très rapidement étrangers l’un à l’autre. Ce retournement fut consacré quand le christianisme, de religion persécutée, devint avec Constantin religion de la majorité.

Bien que l’islam ne véhicule du judaïsme et du christianisme que des éléments partiels et déformés, les relations de ces deux derniers avec l’islam ne furent au début ni d’opposition ni de défense. Les chrétiens monophysites accueillirent en général favorablement leurs nouveaux maîtres. Les apologistes chrétiens, pour la plupart des chrétiens arabisants (Jean de Damas, Abu Qurra, Nikétas le Théologien, Barthélemy d’Édesse), cherchèrent à démontrer que la doctrine de la Trinité était strictement monothéiste, mais ils usèrent peu du kalam. La discussion avec l’islam ne commencera vraiment qu’au Moyen Âge. C’est alors, en effet, que l’apologétique se constitue comme discipline cohérente et élaborée, à la faveur du renouveau aristotélicien. Elle apparaît d’abord chez deux croyants non chrétiens: l’un juif, Maimonide, l’autre musulman, Averroès (Ibn Rushd), qui ont été tous deux les maîtres à penser de saint Thomas d’Aquin.

3. Du Moyen Âge à l’époque contemporaine

La démarche apologétique classique du christianisme avait été formulée par saint Anselme dans son Proslogion (1078): fides quaerens intellectum . La foi recherche les motifs qui, sans prétendre démontrer ce qui demeure mystérieux pour la raison, permettent de croire, et fondent un «jugement de crédibilité». Mais les motifs de crédibilité ne sont pas la foi. Leur rapport à la foi restait à élucider. C’est ce que fit Thomas d’Aquin dans la Somme contre les gentils (1261-1264), où le principal interlocuteur visé sous le nom des «gentils» est Averroès. À la suite de saint Anselme, Thomas d’Aquin expose ce que l’on peut nommer les «préparations philosophiques» à la foi: existence de Dieu, création, Dieu fin suprême des créatures, avant de présenter la crédibilité rationnelle des dogmes proprement dits. La différence de statut est nette: si Thomas d’Aquin prétend à une démonstration des vérités naturelles, il ne prétend qu’à une défense des vérités surnaturellement révélées, dont l’exposé est du ressort de la théologie, et accessibles seulement à celui qui croit.

L’existence de vérités naturelles qui peuvent être établies rationnellement était ainsi affirmée. Il restait à se pencher sur leur contenu, et c’est ce qu’a fait l’apologétique moderne. Elle naît avec l’Apologie (1434-1435) de Raymond de Sebonde, qui a stimulé Montaigne (Essais , II, 12). Ses considérations sur l’harmonie entre le bien de l’homme et la révélation sont le signe d’un optimisme humaniste et rationaliste. À l’opposé, un Nicolas de Cues, dans De la docte ignorance (1440), fonde la croyance sur une vision mystique où viennent s’unifier les positions contraires des hommes.

Les Pensées de Pascal (1662) ont inauguré une voie nouvelle. Partant de la considération de l’homme, de ses besoins, de ses désirs, de ses échecs, des preuves «sensibles au cœur» plutôt que de celles qui convainquent l’esprit, Pascal a projeté sur la démarche de foi une vive lumière. Plutôt que de s’appuyer sur des démonstrations, il a mis en relief dans la croyance un «pari», dont on fausserait la portée si l’on y voyait un argument de premier plan dans son apologétique, mais qui est une sorte de pressentiment de l’argument de probabilité mis en relief par la pensée moderne. Pascal développe des preuves qui viennent s’ajouter au pari et qui sont d’autant plus fortes qu’elles s’appuient les unes les autres. Leur convergence même est en harmonie avec la nature de la foi: «Il y a assez de lumière pour ceux qui désirent de voir et assez d’obscurité pour ceux qui sont en disposition contraire.»

La reconnaissance des «probabilités» de la foi eut une grande place aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle se retrouve dans l’anglicanisme chez Joseph Butler, Analogie de la religion naturelle et révélée avec la constitution et le cours de la nature (1736), qui voit là une sorte de «philosophie de la révélation», et chez William Paley, Tableau des évidences du christianisme (1790), qui adopte un point de vue plus rationnel. Les deux ouvrages ont servi de point de départ à John Henry Newman dans ses Sermons sur la croyance (1843) et dans son Essai pour aider à une grammaire de l’assentiment (1870), analyse magistrale de la démarche de foi pour l’esprit scientifique moderne. Newman distingue l’assentiment «réel» de l’assentiment simplement notionnel, et établit les lois du «sens illatif» (ou sens de l’inférence), qui fait adhérer au réel. Passant de cette philosophie de la connaissance à l’analyse concrète et historique, Newman montre que le lieu de l’assentiment réel est la tradition dogmatique de l’Église. Au début du XXe siècle, on a dénoncé parfois dans cette démarche un certain psychologisme. En réalité, cette apologétique n’est nullement moderniste et procède du christianisme le plus traditionnel.

En même temps qu’ils ont insisté sur les fondements rationnels de la croyance, les Temps modernes ont connu un retour vers le fidéisme, la transcendance et l’argument d’autorité: cette tendance est nette chez l’homme d’État anglais Balfour, Les Bases de la croyance (1899), chez G. Fonsegrive, Le Christianisme et la vie de l’Esprit (1899), et Ferdinand Brunetière, Raisons actuelles de croire (1900). Il n’en est pas de même chez Maurice Blondel qui, dans la Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique (1896), fait appel conjointement à la transcendance et à ce qui est immanent à l’action humaine. Selon lui, le surnaturel, «qui demeure toujours au-delà de la capacité, du mérite et des exigences de la nature», est dans une certaine mesure appelé par les insuffisances de celle-ci, «par le besoin senti d’un surcroît» que la nature peut recevoir, étant faite pour lui, mais qu’elle ne peut ni produire ni même définir.

Depuis la fin du XIXe siècle, de nombreux auteurs ont été tentés de donner à l’apologétique un statut scientifique et de lui assigner pour tâche la réflexion sur la crédibilité de la Révélation. Mais la certitude que peut avoir de celle-ci le croyant ne se couche pas nécessairement en une démonstration de la Révélation. C’est plus qu’une opinion, il est vrai, puisque le croyant adhère et n’est pas dans le doute; mais ce n’est pas l’évidence apodictique, idéal de la science moderne. Aussi rend-on mieux compte de sa nature en parlant de «certitude morale». Le «réel» dont s’enquiert ici la raison humaine est en effet dans sa nature de caractère moral et religieux plutôt que rationnel. On laisse échapper ce réel si on le réduit à un exposé de preuves , sans tenir compte des sujets personnels à qui les preuves en question s’adressent à titre de signes religieux. Certes, la démarche de foi peut être transcrite après coup en catégories rigoureuses et objectives, être mise en forme de démonstration, mais cette démonstration ne rejoint jamais entièrement la démarche concrète du sujet. On l’accusera toujours ou de trop promettre ou de majorer ses résultats. Entre la démarche rationnelle (ou jugement de crédibilité) et l’adhésion de foi (qu’on a appelée parfois jugement de crédentité), il y a un seuil, un écart, qui tient au rapport direct du sujet avec Dieu et qui dépasse les élucidations de la raison.

Mais il faut remarquer qu’en insistant sur les signes qui touchent l’homme et qui l’appellent à une conversion, on n’entend pas dévaluer les preuves: le signe implique la preuve, car le signe doit être, par le croyant lui-même en premier lieu, critiqué et prouvé. Insister sur la signification du geste religieux n’entraîne pas qu’on soit moins exigeant sur sa vérification. Aussi la philosophie religieuse, dont l’objet est d’étudier les conditions générales de l’acte religieux, est-elle ici d’un grand secours et vient-elle contrôler le langage et la démarche de la foi.

L’apologétique ainsi comprise n’a pas à être glorieuse – pas plus que la foi n’est la gloire – ni non plus craintive – l’assurance étant le signe de la foi – mais vraie. La vérité du témoignage est en définitive le seul indice du message du salut.

4. Athènes et Jérusalem

Depuis la fin des années 1970, sous l’influence d’une réflexion sur les rapports entre la raison et la foi et sur le problème de l’origine de la pensée, un certain déplacement de la problématique s’est opéré – deux modes de pensée distincts, deux noms, deux cités considérés comme étant au cœur de notre héritage: Jérusalem et Athènes. Tandis que les médiévaux, qu’il s’agisse de Maimonide ou de Thomas d’Aquin, admettaient qu’une synthèse était possible, les modernes – tels Leon Chestov et Leo Strauss notamment – sont de plus en plus enclins à reconnaître une tension fondamentale, un conflit irréductible, entre ces deux «modèles» de la vie de l’esprit. Des deux grandes catégories culturelles, gréco-romaine et judéo-chrétienne, qui caractérisent la pensée de l’Occident, Michel Serres écrit: «Ces deux catégories ne sont pas des synthèses, elles ne sont que des séquences. Et peut-être des séquences sans conséquence. Preuve en est que, dans chaque couple, le prédécesseur ne se reconnaît pas dans le successeur, même quand celui-ci le revendique. Le trait d’union n’y est qu’une coupure, souvent [...]. La catégorie de chrétien romain est reconnue, quant à elle, comme une synthèse, précisément celle que la catholicité a universalisée dans tout l’Occident au cours de vingt siècles d’histoire, avec les revers et les succès que l’on sait. Mais il y a, d’autre part, une catégorie moins connue [...] qui m’apparaît jeter sur la question une vive clarté. Le modèle judéo-grec est une synthèse» (Le Modèle de l’Occident ). Ainsi une double confrontation s’est inscrite au cœur de la vie de l’esprit. Le Grec a fait une découverte originale, celle du logos et de la science. Le Juif, par ses prophètes, a découvert le temps et l’histoire. Il y a là deux processus interminables, deux opérateurs sans cesse renaissants. L’Orient maintient ces courants séparés. L’Occident est leur confluent. Ces deux découvertes ont pour conséquence l’hétéronomie des langages et elles fondent la différence de la révélation d’avec la philosophie.

Nulle part l’hétéronomie n’apparaît davantage que dans l’œuvre des penseurs qui ont repéré les conflits de l’humanité en même temps qu’ils ont fondé la modernité: Spinoza, Bayle, Freud. Le contraste est figuré par l’opposition entre deux montagnes. Au sommet de l’une, à l’orient de la Méditerranée, Abraham s’apprête à sacrifier son fils Isaac, mais son bras sera retenu. Au sommet de l’autre, à l’ouest des eaux du Bosphore, Œdipe est exposé, suspendu par les pieds; un oracle a prédit qu’il tuerait son père. Abraham, dans sa piété, ne veut pas pénétrer les desseins de Celui qui lui a parlé. Œdipe ne sait pas ce que le destin lui promet. «Nous portons dans le corps, remarque Michel Serres, ce qu’on nomme communément l’Œdipe, et nous tournons le dos à la première des montagnes. Nous ne savons plus que nous sommes en équilibre entre deux sacrifices. Peut-être l’Occident est-il cet équilibre rompu, la série interminable de tous les déséquilibres, entre un modèle grec, la culture d’Œdipe, et un modèle juif, le culte d’Abraham.»

Consciente de telles prémisses, l’apologétique contemporaine s’est déplacée, de même que l’attitude philosophique à l’égard de la révélation. De part et d’autre, on reconnaît, ce qui sans doute aurait pu être admis d’emblée comme une évidence, que la philosophie n’a jamais réfuté la révélation et ne pourra jamais y parvenir: elle reste en dehors et de sa visée et de ses prises. En outre, la théologie ne saurait couper court aux interrogations de la philosophie ni interrompre sa contestation.

Pour le philosophe, la révélation est seulement une possibilité. Quand Pascal entreprend de démontrer que la vie du philosophe est fondamentalement misérable, parce qu’elle laisse échapper le tragique, son projet présuppose la foi; il n’atteint ni ne réfute la démarche philosophique. De plus, celle-ci ne détient pas d’éthique dernière dès lors qu’elle reconnaît que la révélation existe. Elle doit donc admettre la possibilité de la révélation. Le choix du philosophe apparaît fondé lui-même sur une foi. La philosophie, dit Leon Chestov, renvoie à la non-philosophie. Et Leo Strauss, partant d’un autre point de vue, affirme, lui aussi, que la recherche d’une connaissance évidente qui dispenserait de la révélation «repose elle-même sur une prémisse qui ne l’est pas». La démarche la plus intéressante de l’apologétique contemporaine n’a pas consisté à vaincre la philosophie sur son terrain, ni à vouloir la maintenir en situation de servante; elle a consisté à reconnaître son autonomie et, en ce qui la concerne, à retrouver sa spécificité.

apologétique [ apɔlɔʒetik ] adj. et n.
XVe; gr. apologêtikos
1Qui contient une apologie, a un caractère d'apologie.
Qui concerne la défense de la religion.
2 N. m. (1636; lat. ecclés. Apologeticum) Apologie de la religion chrétienne. L'Apologétique de Tertullien.
N. f. (1853) Discipline ayant pour but de défendre la religion contre les attaques dont elle est l'objet (apologétique destructive); partie de la théologie ayant pour objet d'établir, par des arguments historiques et rationnels, le fait de la révélation chrétienne dont l'Église est l'organe (apologétique constructive).
⊗ CONTR. 2. Critique.

apologétique adjectif (du grec apologêtikos) Qui contient une apologie. Relatif à l'apologétique. ● apologétique nom féminin Partie de la théologie qui a pour objet de démontrer la crédibilité rationnelle et historique du dogme. (Depuis Vatican II, l'apologétique s'inscrit dans une perspective plus irénique et constructive.)

apologétique
adj. et n. f.
d1./d adj. Didac. Qui contient une apologie.
|| Qui fait l'apologie de la religion.
d2./d n. f. THEOL CHRET Partie de la théologie qui a pour objet de défendre le christianisme.

⇒APOLOGÉTIQUE, adj. et subst. fém.
A.— Adj. Qui contient une apologie; qui tient de l'apologie :
1. Ainsi, dans l'examen que je ferai de chacune des grandes écoles du dix-huitième siècle, il y aura toujours deux parties : 1 Une partie apologétique, qui représentera pour ainsi dire l'existence et les raisons d'existence de cette école dans l'histoire; 2 Une partie critique qui représentera la lutte qu'elle a subie.
COUSIN, Hist. de la philos. du XVIIIe s., 1829, p. 27.
2. L'idée d'écrire des romans apologétiques a quelque chose d'horrifiant à mes yeux. J'aimerais mieux ne plus jamais écrire que de fabriquer une œuvre d'imagination qui tende à prouver quoi que ce soit.
GREEN, Journal, 1948, p. 161.
SYNT. Lettre, ouvrage, œuvre, note, manuscrit, partie, point de vue, littérature, pamphlet, méthode apologétique.
En partic. Qui contient une apologie de la religion chrétienne :
3. Le livre [les Pensées de Pascal] évidemment, dans son état de décomposition, et percé à jour comme il est, ne saurait plus avoir aucun effet d'édification sur le public. Comme œuvre apologétique, on peut dire qu'il a fait son temps. Il n'est plus qu'une preuve extraordinaire de l'âme et du génie de l'homme, un témoignage individuel de sa foi. Pascal y gagne, mais son but y perd.
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 344.
4. ... c'est un des premiers devoirs apologétiques du chrétien de montrer, par la logique de ses vues religieuses, et plus encore par la logique de son action, que le Dieu incarné n'est pas venu diminuer en nous la magnifique responsabilité ni la splendide ambition de nous faire nous-mêmes.
TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin, 1955, p. 62.
B.— Subst. fém.
1. THÉOL. Partie de la théologie qui tend à défendre la religion contre les attaques dont elle est l'objet (« apologétique négative ») et à démontrer la vérité et la divinité du christianisme, pour aboutir ainsi au jugement de crédibilité, point de départ de l'adhésion par la foi (« apologétique constructive ») :
5. ... et sans doute Barrès n'a-t-il élu l'apologétique pascalienne que pour sa fièvre, son repliement, ce quelque chose de tendu et d'extrême qui la rend si proche de nos âmes. Cette préoccupation dramatique de l'individu et du sujet qu'on discerne chez Pascal, voilà ce qui l'entraîne dans son sillage; ...
MASSIS, Jugements, t. 1, 1923, p. 231.
SYNT. Apologétique positive ou constructive, négative ou polémique, objective, subjective, biblique, traditionnelle, dogmatique, augustinienne, chrétienne, catholique, orthodoxe, pascalienne, moderne, moderniste, agressive, victorieuse; livre, cours, thèse, recherches d'apologétique; fournir un fondement à l'apologétique; aux fins d'apologétique.
P. méton. Traité d'apologétique.
Rem. Lorsque le mot désigne le discours apologétique de Tertullien (vers l'an 200) il est gén. du genre masc., p. réf. au titre lat. apologeticus (liber) et au syntagme discours apologétique qui peut l'expliciter en français.
2. P. ext., rare. Synon. de apologie. Apologétique de logique historique, de l'immanence, du néant.
P. méton. Écrit apologétique :
6. Heure par heure, les journaux versaient dans la rue des apologétiques ou des diffamations, fragments nullement sincères des dépositions entendues.
BARRÈS, Leurs figures, 1901, p. 127.
PRONONC. :[].
ÉTYMOL. ET HIST.
A.— Adj. XVe s. « qui contient une apologie » (Bibl. nat., 1130, f° 44c ds GDF. Compl. : Dyalogue appologetique).
B.— Subst. 1. 1681 désigne l'Apologétique de Tertullien (BOSSUET, Discours sur l'hist. universelle, II, 12 ds Dict. hist. Ac. fr. : Tibère sur les relations qui lui venoient de Judée, proposa au sénat d'accorder à Jesus-Christ les honneurs divins. Ce n'est point un fait qu'on avance en l'air et Tertullien le rapporte comme public et notoire dans son Apologétique qu'il présente au sénat au nom de l'Eglise); 2. av. 1850 « partie de la théologie qui a pour but de défendre la religion chrétienne » (Lacroix Marlès cité par Lar. 19e : L'apologétique diffère des simples écrits polémiques en ce qu'il [ici apologétique est masc.; il est donné comme fém. par Lar. 19e] n'est pas destiné à soutenir des doctrines contre d'autres doctrines).
A empr. au gr. « propre à défendre, justificatif », ARISTOTE, Rhétorique Alexandre, 5, 1 ds BAILLY; B empr. au lat. chrét. apologeticum « écrit justificatif », au sens B 1 : LACTANCE, Inst., 5, 4, 3 ds TLL s.v., 249, 60.
STAT. — Fréq. abs. littér. :118.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BOUILLET 1859. — BOUYER 1963. — Foi t. 1. 1968. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — MARCEL 1938. — Théol. cath. t. 1, 2 1909.

apologétique [apɔlɔʒetik] adj. et n.
ÉTYM. XVe; du grec apologêtikos, de apologeisthai « parler pour défendre (qqn), plaider ». → Apologie.
Didactique.
1 Adj. Qui contient une apologie, qui a un caractère d'apologie (on dit aussi apologique). || Ouvrage, lettre, discours apologétique. || Méthode apologétique.Qui concerne la défense de la religion.
2 N. m. (1636; lat. ecclés. apologeticum, titre de l'ouvrage de Tertullien). Apologie de la religion chrétienne.
1 Le grave Tertullien, dans ce merveilleux apologétique qu'il a fait pour la religion chrétienne (…)
Bossuet, Existence des démons, 2.
N. f. (Av. 1850). Discipline ayant pour but de défendre la religion contre les attaques dont elle est l'objet (apologétique destructive); partie de la théologie ayant pour objet d'établir, par des arguments historiques et rationnels, le fait de la révélation chrétienne dont l'Église est l'organe (apologétique constructive).
2 Ce n'est ici ni une chaire de polémique, ni une chaire d'apologétique; c'est une chaire de philosophie (…)
Renan, la Chaire d'Hébreu au Collège de France.
Par extension :
3 Heure par heure, les journaux versaient dans la rue des apologétiques ou des diffamations, fragments nullement sincères des dépositions entendues.
M. Barrès, Leurs figures, p. 153.
4 En présence d'excès commis jadis par le parti auquel on adhère, la technique bien simple consiste toujours à dénigrer les victimes, d'une part, à assurer de l'autre que les supplices étaient nécessaires au bon ordre (…) Cette sorte d'apologétique n'est pas spéciale aux défenseurs des crimes papistes ici et parpaillots là : les fanatiques et les profiteurs des idéologies de nos jours ne mentent pas autrement.
M. Yourcenar, Archives du Nord, p. 53.
CONTR. Critique. — V. aussi les contr. d'apologie.
DÉR. Apologétiquement.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно сделать НИР?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • apologétique — APOLOGÉTIQUE. adject. des 2 g. Qui contient une Apologie. Lettre apologétique. Discours apologétiqué. [b]f♛/b] Il se met aussi substantivement, en parlant de l Apologie de Tertullien pour les Chrétiens. Tertullien dans son Apologétique …   Dictionnaire de l'Académie Française 1798

  • apologetique — Apologetique. adj. de tout genre. Qui contient l Apologie de quelqu un. Lettre Apologetique. Discours Apologetique. Il se met quelquefois substantivement. Tertullien dans son Apologetique …   Dictionnaire de l'Académie française

  • Apologetique — Apologétique L apologétique est un champ d études théologique ou littéraire consistant en la défense systématique d une position. Un auteur s engageant dans cette démarche est appelé un « apologiste » ou un « apologète » (ce… …   Wikipédia en Français

  • Apologétique — L apologétique est un champ d études théologique ou littéraire consistant à défendre de façon systématique une position. Un auteur s engageant dans cette démarche est appelé un « apologiste » ou un « apologète » (ce dernier… …   Wikipédia en Français

  • apologétique — (a po lo jé ti k ) 1°   Adj. Quicontient une apologie. Lettre apologétique. 2°   S. m. L Apologétique, la défense des chrétiens par Tertullien. Chateaubriand l a fait du féminin, à tort. •   Chose étrange ! que l Apologétique aux Gentils soit… …   Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré

  • APOLOGÉTIQUE — adj. des deux genres Qui contient une apologie. Lettre apologétique. Discours apologétique.   Il s emploie substantivement, au masculin, en parlant de L Apologie de Tertullien pour les chrétiens. Tertullien, dans son Apologétique …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 7eme edition (1835)

  • APOLOGÉTIQUE — adj. des deux genres Qui contient une apologie. Lettre apologétique. Discours apologétique. Il s’emploie comme nom féminin pour désigner cette Partie de la Théologie qui a pour objet de défendre le christianisme. L’apologétique chrétienne …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

  • Lettre apologétique de l’abbé Raynal à monsieur Grimm — Lettre apologétique de l abbé Raynal à monsieur Grimm Auteur Denis Diderot Genre lettre publique Pays d origine  France La Lettre apologétique de l abbé Raynal à monsieur Grimm est une let …   Wikipédia en Français

  • Apologiste — Apologétique L apologétique est un champ d études théologique ou littéraire consistant en la défense systématique d une position. Un auteur s engageant dans cette démarche est appelé un « apologiste » ou un « apologète » (ce… …   Wikipédia en Français

  • Apologistes — Apologétique L apologétique est un champ d études théologique ou littéraire consistant en la défense systématique d une position. Un auteur s engageant dans cette démarche est appelé un « apologiste » ou un « apologète » (ce… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”